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Ferroviaire: mettre la réforme sur la bonne voie (Ville Rail & Transports – Mai 2018 – P. 70 et 71)

Par Philippe Dumont, conseiller Affaires internationales de la Fédération des industries ferroviaires (FIF).

On a pu lire encore très récemment dans les colonnes d'un grand quotidien écono­mique des développements suivant lesquels le ferroviaire est un mode de transport structurel­lement déficitaire et qui, au-delà de « quelques domaines de pertinence » qui peuvent être conservés, doit être accompagné dans son inexorable déclin, avec les soins palliatifs (toute idée de modernisation est exclue) les moins chers possible pour la collectivité.

Il est vrai que dans le contexte actuel qui pré­vaut pour le ferroviaire français, la tentation peut être forte pour certains de voir dans ce mode un mode du passé et dépassé car, trop lourd, trop coûteux, et également socio­logiquement obsolète, comparé aux modes « doux » qui ont de fait, monopolisé le devant de la scène des Assises sur la mobilité.

 La FIF ne partage pas cette vision de déso­lation. Pour parler du ferroviaire en 2018, il faut s'affranchir un moment de nos tropismes  hexagonaux, et examiner la situation interna­tionale. Le chiffre d'affaires mondial du secteur est passé de 35 milliards d'euros au milieu des années 90 à plus de 160 milliards en 2017 Pourquoi une telle croissance alors que ce mode de transport, selon certains, « n'est plus le facteur de progrès merveilleux qu'il a été »? Parce que tout simplement, il correspond aux besoins résultant de la forte augmentation de la population mondiale urbaine et de sa concentration accrue dans de grandes agglo­mérations.

Rien qu'en Chine, il existe aujourd'hui plus de 100 villes d'un million d'habitants, et plus de 600 dans le monde. Or, la majorité de ces villes ne possèdent pas de systèmes de transport collectifs de type TCSP adaptés à leurs be­soins, tandis que la pollution n'y fait que croître, que les voies routières et autoroutières y sont de plus en plus congestionnées et que les prix de l'immobilier flambent dans les centres-villes et leur première couronne.

 En fait, seul le ferroviaire permet, et permettra au cours des décennies à venir, le mass tran­sit quotidien et périodique de ces énormes flux de déplacement des populations. Aucun autre mode n'offre de solutions adaptées, et quand le train (sous toutes ses formes) est en retard, par incurie des pouvoirs publics, ce sont les populations les plus vulnérables qui en souffrent le plus, avec l'engorgement des villes par la congestion automobile et les nuisances qui en résultent.

La question de la rentabilité du ferroviaire est une question complexe. Aucun des grands ré­seaux ferroviaires urbains n'a pu être construit et entretenu sans contribution financière pu­blique. La recherche d'un modèle économique pérenne, c'est-à-dire d'un «mix» de finance­ments publics et privés qui soit durable, en ne reposant pas sur une dette croissante et in­contrôlable, est légitime. Mais la solution n'est pas dans une politique d'attrition qui dégrade la performance en volume sans redresser les comptes d'exploitation.

La Fédération des industries ferroviaires es­time que le redressement du transport ferroviaire français passe par une double politique, d'ouverture et de modernisation.

Une politique d'ouverture tout d'abord. La France est un peu schizophrène lorsque l'on parle de ferroviaire. La concurrence, pour­quoi pas si c'est chez les autres ! On est de fait moins réticents à se féliciter des nombreux succès de nos entreprises ferroviaires, notam­ment publiques, sur les marchés de transport étrangers qu'à soutenir et a fortiori, accélérer la libéralisation du marché du transport fer­roviaire dans notre pays. Mais l'ouverture du ferroviaire en France, ce n'est pas uniquement l'acceptation de la concurrence européenne, c'est aussi l'introduction du pluralisme, c'est-à-dire de la stimulation, à l'intérieur même du système. C'est ce qu'avait fait le gouvernement avec la création de Réseau ferré de France (RFF) en 1997, réforme votée par le gouver­nement Juppé, et mise en œuvre par le gou­vernement Jospin. RFF était un gestionnaire d'infrastructure au sens de la réglementation européenne, indépendant de la SNCF. Une voix distincte, et pas forcément discordante, capable d'apporter sa propre expertise dans un système ferroviaire. La réforme de 2014 a dans une certaine mesure reconstitué la SNCF « historique ». Le rapport Spinetta en prend acte. Raison de plus pour ouvrir la porte à la concurrence européenne, qui n'est pas la panacée mais introduira un peu de d'émula­tion, toujours préférable à un système mono­polistique, public ou privé. Pour les mêmes raisons, il paraît souhaitable, comme l'a d'ail­leurs signifié dernièrement le vote de l'Assem­blée nationale, de ne pas remettre en cause les pouvoirs d'avis de conformité actuellement reconnus au régulateur qu'est l'Arafer.

 Avec l'ouverture, la modernisation est un ob­jectif indispensable. Si le ferroviaire se déve­loppe à travers le monde, c'est parce qu'il a su apporter des solutions nouvelles. Parce qu'il est soumis au défi permanent de la concur­rence intermodale, jamais aussi importante en Europe que depuis ces 20 dernières années, avec la progression spectaculaire du transport routier, notamment de marchandises, mais aussi avec la révolution du « low cost » dans le transport aérien. Le ferroviaire ne doit pas vivre en vase clos... Il doit se réinventer. Il s'y attelle. C'est ce que traduit le programme d'in­novation européen « Shift2Rail » à Bruxelles notamment, partenariat public-privé entre l'in­dustrie, les Rats membres et la Commission, qui imagine et prépare les trains du futur dans tous les segments du marché.

Ce n'est nullement un hasard si l'industrie ferroviaire, notamment en France et en Alle­magne, les deux leaders européens du sec­teur, se mobilise pour la mise en œuvre du « réseau 4.0 ». Il s'agit d'avancer résolument vers l'introduction de la numérisation au cœur du système ferroviaire, pour des performances optimales en termes de sécurité comme de capacité et de qualité de service. Mais aus­si pour une meilleure insertion du train dans l'intermodalité, pour le transport de marchan­dises comme pour les nouveaux besoins de mobilité des passagers.

La réflexion engagée en France autour de la réforme ferroviaire ne peut faire abstraction de ces éléments : une concurrence maîtrisée et une modernisation accélérée sont les deux pi­liers de la modernité d'un mode ferroviaire qui est vecteur majeur du développement durable de notre planète.