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Comment sauver l’industrie ferroviaire face à la concurrence chinoise

24/11/2016 - MOBILICITES

Le délégué général de la FIF, Jean-Pierre Audoux, revient sur l'action de sa fédération et sur les blocages qui caractérisent l'industrie ferroviaire française. Il espère un sursaut des États pour mettre en place une stratégie de défense de la filière ferroviaire européenne face, notamment, à la concurrence chinoise.

MobiliCités : Quel bilan tirez-vous deux ans après la mise en place de votre de plate-forme Rail-Export de soutien des TPE-PME à l'international ?

Jean-Pierre Audoux : C'est à ce stade plutôt décevant. Nous sommes actuellement en pleine réflexion critique car n'avons pas eu de retour sur investissement satisfaisant. Nous avions lancé Rail Export suite au diagnostic collectif issu du travail du comité stratégique de filière [cf. Rapport Ambition 2020], car nos PME n’étaient pas suffisamment tournées vers l'international. Notre objectif était donc de les aider à "débroussailler le terrain" en amont.

A la FIF, nous avons recruté une personne dédiée et nous mettons à leur disposition des experts des grands groupes implantés sur ces marchés. Lors des premières réunions de présentation, nous avions senti un fort intérêt, qui n'a malheureusement pas été suivi de déclenchement d'actions individuelles concrètes et de courants d'affaires développés. En revanche, les entreprises semblent plus facilement privilégier des actions collectives, où l’approche B2B est mise en avant. C’est ainsi qu’une action collective a été réalisée au Maroc, réunissant plus de 20 entreprises, et qu’une autre est en cours de montage pour la Turquie.

En parallèle, la FIF continue à jouer un rôle récurrent auprès de l'administration française pour, par exemple, faire accélérer l'obtention des certificats nécessaires et des dossiers Coface pour ces TPE-PME.

MobiliCités : Comment expliquez-vous cette prudence ?

Jean-Pierre Audoux : L'investissement à la fois humain et financier demandé reste important par rapport aux moyens dont les PME disposent. Dans ces petites entreprises, il n'y a souvent guère qu'une ou deux personnes susceptibles de se projeter à l'international.

En outre, nos PME-TPE vivent d'abord grâce au marché français et sont déjà très occupées à répondre aux grands comptes. Nous avons le sentiment que leur priorité est de sauver leur part de marché dans l'Hexagone.

En effet, ces PME-TPE avaient jusqu’à récemment l'habitude de travailler avec les 2-3 mêmes grands donneurs d’ordre nationaux, puis du jour au lendemain, elles ont vu arriver la concurrence étrangère à une vitesse foudroyante : les Tchèques, les Polonais, les Chinois qui sont moins chers pour des raisons relatives tout d’abord au coût du travail.

Nous sommes toutefois davantage optimistes pour les Clusters qui sont capables de réagir très vite pour aller ensemble à l'international. C'est prometteur pour l'avenir de la filière.

MobiliCités : La FIF était partenaire des premiers French Rail Awards remis sur le salon InnoTrans. Quel est l'objectif de cet événement ?

Jean-Pierre Audoux : Dans cette concurrence mondiale exacerbée, cette initiative prise par Fer de France et Business France est bienvenue pour faire connaître des entreprises performantes comme Rustin, Flexelec et CIM que nous connaissons bien puisqu'elle est adhérente à la FIF.

Les trois prix remis – innovation, international et relation client fournisseurs – me paraissent bien résumer le triptyque que doivent avoir en tête nos entreprises si elles veulent avoir une chance d'émerger.

MobiliCités : Quel bilan faites-vous d'InnoTrans ?


Jean-Pierre Audoux : Louis Nègre [président de la FIF] et moi-même avons visité 25 entreprises françaises, en plus du pavillon France. Les exposants nous ont dit qu'ils n'avaient jamais vu autant de monde. Ce qui m'a également frappé, c'est que les professionnels parlaient énormément d'innovation comme un élément de différenciation et de compétitivité face, notamment, à la concurrence chinoise. Ces derniers étaient d'ailleurs venus en force sur le salon...

MobiliCités : Quelle est la stratégie de conquête de la Chine ?

Jean-Pierre Audoux : Le plan public du gouvernement chinois "Made in China 2025" a pour ambition l'appropriation des technologies dans cinq secteurs jugés prioritaires dont le ferroviaire. Leur objectif est de produire local à l'horizon 2025.

Ainsi, le pays va chercher à acquérir les entreprises dont les technologies et le positionnement géo-économique leur paraissent critiques. Les cibles sont en Europe et, plus précisément, en Allemagne, en Italie et en France.

MobiliCités : Les Chinois ont déjà manifesté leurs ambitions...

Jean-Pierre Audoux : Ils ont déjà racheté Valdunes et ont cherché à acquérir Manoir Industrie notamment pour son savoir-faire dans les appareils de voie en manganèse. Les Chinois souhaitaient également acheter Ansaldo qui est, au final, revenu au Japonais Hitachi. Ils ont fait une proposition pour racheter Bombardier Transport qui a 40% de sa base installée en Europe. Nous savons qu'ils sont notoirement en discussion pour racheter le constructeur allemand Vossloh et l'équipementier de roues et essieux  BVV. Et ce n'est que le début.

MobiliCités : L'industrie ferroviaire européenne doit-elle craindre les ambitions de la Chine ?

Jean-Pierre Audoux : Tout dépend de l'anticipation collective. Qu'est ce que va faire ou ne pas faire l'Union européenne ? Jusqu'ici la doctrine de la Commission était de privilégier les consommateurs et donc le prix des produits au détriment de l'origine des produits. Il n'y a pas de politique de préférence européenne ou de local content comme dans la plupart des autres pays.

MobiliCités : Y'a t-il des raisons d'espérer une inflexion de cette doctrine ?

Jean-Pierre Audoux : La députée européenne Martina Werner est l'auteur d'un excellent diagnostic sur la situation de l'industrie ferroviaire européenne. Sa proposition de résolution pose pour la première fois, et de façon officielle, les problèmes. Elle suggère notamment de mettre en place une stratégie pour la filière au niveau européen. Elle préconise également de permettre aux entreprises d'atteindre une taille critique pour rester compétitives et d'accélérer sur l'innovation via notamment l'initiative Shift2Rail.

Sa proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité en juin 2016 au Parlement européen. La Commission semble également partager ses positions. Nous ne pouvons qu'espérer que son travail constituera une étape importante dans la prise de conscience des problèmes de la filière et provoquera une impulsion des Etats.

MobiliCités : Dans ce contexte, quid de l'avenir de nos champions et en premier lieu d'Alstom ?

Jean-Pierre Audoux : Nous savons que Bercy a étudié plusieurs scénarii de rapprochement avec d'autres constructeurs sans qu'il se dégage de vérité absolue. S'il y avait une fusion des deux-trois majors de l'industrie ferroviaire, l’avis général est que cela serait dans un premier temps socialement "compliqué". A terme, il va bien falloir un jour rationaliser pour s'adapter à la concurrence intramodale et intermodale. Mais, en même temps, nous n'avons pas de doutes sur les besoins gigantesques en termes de trains et de métros pour les vingt ans à venir.

MobiliCités : Que peut faire l'exécutif pour soutenir l'industrie ferroviaire française ?

Jean-Pierre Audoux : L’Etat doit logiquement se demander dans quelle mesure sa politique de transport peut favoriser l'investissement dans ce mode. Cela suppose d’être en cohérence sur l'infrastructure, la réglementation et sur son rôle et celui des Régions, sans oublier les financements. Or, le ferroviaire a été carrément oublié dans la loi de transition énergétique !

Heureusement, les Régions ont décidé de prendre leur destin ferroviaire en main en expérimentant la concurrence dans les TER, et mandat des TET. Cela doit permettre d'enclencher une dynamique qui s'étende à l'ensemble du feroviaire face à un État dont on attend qu'il devienne vraiment "stratège", et d'empêcher ce qui s'est passé dans le fret...

Reste la question des infrastructures, nous sommes convaincus qu'il faudra mettre en place un pacte donnant-donnant où l'Etat devra reprendre une partie de la dette, en contrepartie, la SNCF devra s’engager pleinement dans le grand plan de modernisation du Réseau.