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La filière ferroviaire va cloner les bonnes pratiques de l’aéronautique pour enrayer son déclin (Mobilicités - 25 mars 2016)

Fer de France, qui est à l'origine de l'initiative, devrait valider en juin 2016 la création d'une plate-forme d'échanges numériques destinée à l'ensemble des acteurs de la filière – SNCF, RATP mais aussi Alstom, Siemens, Bombardier et les équipementiers. L'objectif ? Réaliser de substantielles économies et surtout aboutir à une standardisation.  Explications.

Être plus efficace et enrayer le déclin de l’industrie du rail européen en se mettant, entre clients, fournisseurs et sous-traitants à parler le même langage numérique à partir de 2017 : c’est le but de la plate-forme collaborative dont la filière ferroviaire va bientôt poser la première pierre.

L’affaire sera examinée successivement le 14 avril puis le 7 juin 2016 par le conseil stratégique de Fer de France qui est la cheville ouvrière de ce projet. La décision de lancer EuroDigiRail – tel devrait être son nom - ne fait guère de doute au vu de la motivation exprimée par nombre d'acteurs. Un colloque organisé le 22 mars 2016 au siège de la SNCF en a témoigné.

"Dans la conception et la fabrication d'un train, le gain que l'on peut espérer de la digitalisation se chiffre en dizaine de millions d'euros, estime Damaury Canonne de l'ingénierie chez Bombardier. Les trains sont de plus en plus complexes et la filière s'est également complexifiée. Par exemple, un dossier d'homologation de sécurité engendre plusieurs milliers de rapport d'essais et chaque document plusieurs dizaines d'heures de travail“.

Passer de l'âge du papier scanné au numérique

Au sein de la filière, les documents qu'il faut dans certains cas scanner s'échangent encore trop souvent par courrier ou par e-mail de façon pas très unifiée. Et parfois des plates-formes numériques propriétaires se créent, mais uniquement à l'échelle d'un projet. "Le risque est que chacun fasse son système fermé dans son coin", pointent les acteurs. "Dans la supply chain, nous faisons face à des portails de grands donneurs d'ordre qui ne sont pas harmonisés et ces complications, et plus généralement le temps perdu, nous tuent", résume Eric Tassilly de Knorr Bremse et président des équipementiers à la Fédération des industries ferroviaires (FIF).

Il s’agit donc de bâtir une plate-forme pour faciliter les achats et la gestion des approvisionnement, les facturations mais aussi le travail sur des projets de développement communs en obligeant les acteurs à harmoniser leur langage et à terme à adopter des standards techniques communs.

BoostAeroSpace comme étalon

La démarche de Fer de France s'inspire directement de l'exemple de la filière aéronautique européenne qui a créé BoostAeroSpace en 2012 après trois ans de gestation. "Nous avons créé cette structure numérique pour onze millions d'euros, ce qui nous a couté moins cher que si chacun avait travaillé de son côté, témoigne Pierre Faure, le directeur eBusiness de Dassault Aviation et fondateur de la plate-forme. Dans la gouvernance, chaque acteur possède 20% : Airbus, Airbus Group (ex-EADS), Dassault Aviation, Thales, Safran. Mais avant la gouvernance, il faut bien se mettre d'accord sur le choix du langage commun qui sera utilisé", recommande-t-il.

“Pas question de réinviter la roue, copier c'est gagner résume Bruno Magret, directeur de la transformation numérique chez Alstom. Il s'agit en effet de dupliquer la plate-forme" et de bénéficier du travail de défrichage effectué par l'aéronautique.

Si l’initiative vient de Paris, EuroDigiRail a vocation à se déployer à une échelle européenne et à réunir "SNCF, DB, RATP, Alstom, Siemens, Bombardier, Knorr, Thales, Faiveley etc.", explique Alain Bullot, délégué général de Fer de France.

Prise de conscience

L’enjeu est énorme. L’heure des décisions a été précédé d’une phase de prise de conscience via des entretiens avec les acteurs de la filière et une étude de préfiguration. "En fait, c’est tout simplement  l'avenir du ferroviaire qui est en jeu, pointe encore Alain Bullot. Ce projet doit nous permettre d'améliorer le cycle de vie d'un actif et d'accroître sa productivité unitaire - je pense aussi à l'infrastructure. Le standard d'échange est un facteur très important pour éviter ce qui arrive trop souvent aujourd'hui : bien des programmes accusent des retards de plus d'un an.“

Pour Guillaume Pepy, le président de la SNCF, c'est un grand saut qu'il faut effectuer pour répondre aux multiples défis dont la concurrence asiatique n'est pas le moindre. Pour lui, "le prix de  revient du ferroviaire doit baisser, il faut avoir l'ambition d'atteindre  -20, -30 et -50 %" en allant vers un standard.

Le constat a été confirmé par un tableau systémique très sombre dressé par Joseph Doppelbauer, directeur général de l'Agence ferroviaire européenne (ERA) : “par rapport aux autres modes,  le rail en Europe a clairement un problème de part de marché qui plafonne à 6 ou 7%" qui est lié à ses coûts supérieurs : "20 à 25 cts le passager par kilomètre contre 11 cts pour le low cost aérien et 9 cts pour la voiture".

L'origine de ces surcoûts tient "au problème de l'échelle et de fragmentation des marchés qui limite l'innovation, analyse Jospeh Doppelbauer. Quand Boeing vend 4 0000 exemplaires de 737, et Airbus 3 000 exemplaires de son A320, le TGV ne se vend qu'à 550 unités et dans sept familles différentes, et le Shinkensen à 600 exemplaires“.

En clair, le rail doit la jouer collectif. "Il faut coopérer comme dans l'aviation. Si vous ne coopérez pas, les coûts de développement explosent et le consommateur au final n'utilise plus vos produits", exhorte Joseph Doppelbauer. Et pour aider à la fin des frontières, le volet technique du 4e paquet ferroviaire s'avère sur le papier d'une grande importance. "Il doit aboutir à ce qu'a terme, il n'y ait qu'une seule homologation pour un matériel et non une homologation par pays.“

Marc Fressoz