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L’Etat au secours d’Alstom et Bombardier (L’Usine Nouvelle – Janvier 2013 - p. 30-31)



Près de 15 milliards d'euros de commandes pour   les contrats du siècle! Entre la fin 2009 et le début 2010, Alstom et Bombardier décrochaient de gigantesques contrats-cadres pour leurs trains régionaux : jusqu'à 1000 Regiolis et 860 Regio2N devaient être commandés par les régions. De quoi assurer plus de la moitié du marché français du matériel roulant jusqu'en 2025. Las! Pratiquement aucune commande n'a été passée après une tranche ferme de 300 trains. Depuis plusieurs semaines. Alstom et Bombardier tiraient la sonnette d'alarme : si rien n'est fait, les sites de Reichshoffen (Bas-Rhin), pour l'un, et de Crespin (Nord), pour l'autre, tomberont en panne d'activité dès 2015. Le gouvernement les a entendus.

Vendredi 11 janvier, profitant du premier Comité stratégique de la filière ferroviaire, qui s'est tenu à Petite-Forêt (Nord), Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, et Frédéric Cuvillier, le ministre délégué aux Transports, ont annoncé la recherche d'une solution de portage adaptée, par exemple au travers de fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, pour faciliter le financement des nouveaux trains express régionaux (TER). Une enveloppe de 400 millions d'euros devrait aussi permettre de lancer, dès cette année, la commande de 50 Corail pour renouveler les trains d'équilibre du territoire (TET). Enfin, 450 millions seront destinés à aider les collectivités locales à réaliser leurs projets de transport en commun en site propre. Le gouvernement table sur des commandes d'un montant de 5 à 6 milliards sur dix ans.

Les besoins en TER sont réels. Depuis 2002 et leur prise en charge par les régions, le trafic a progressé de plus de 50%, selon l'Association des Régions de France (ARF). D'ici à 2030, il devrait plus que tripler. Les régions ont donné un nouvel élan au TER, grâce à de lourds investissements dans le matériel roulant neuf Cette dynamique s'est pourtant essoufflée. «Depuis la suppression des recettes fiscales par le gouvernement Fillon en 2010, les régions n'ont plus les moyens de poursuivre leur politique de transports, déplore Jacques Auxiette, le président du conseil régional des Pays de la Loire, qui dirige la commission sur les transports au sein de l’ARF. Pour répondre, à minima, aux besoins, les régions prévoient de commander 152 Regiolis pour 1,2 milliard et 85 Regio2N pour 850 millions. Mais ces investissements ne pourront pas être engagés sans de nouvelles ressources. »

Jérôme Wallut, le directeur d'Alstom Transport France prévient : « la situation est sérieuse. » Le site de Reichshoffen dépend du Regiolis : le dernier exemplaire commandé devrait sortir à la mi-2015. Avec des délais de livraison d'environ dix-huit mois, des commandes doivent être passées dès cette année pour assurer la continuité du programme. Près de 400 personnes s'y consacrent sur les sites d'Alstom. Plus du double chez ses fournisseurs. «C'est un système industriel qui s'est monté autour du Regiolis, s'alarme Jérôme Wallut. L'arrêter serait catastrophique. Le redémarrer pratiquement impossible. » A Crespin, seul site de Bombardier en France, 2000 salariés travaillent, en plus du Regio2N, sur le Francilien et les rames du métro parisien MI 09. «Depuis 2010, c'est un électroencéphalogramme plat du côté des commandes», résume Jean Bergé, le président de Bombardier Transport France. L'usine est chargée à 100% jusqu'à la fin 2015. «Mais l'activité tombera presque à zéro quelques mois plus tard, prévient le dirigeant. On est en alerte. »

Un programme de remplacement

L'autre solution s'appelle les trains d'équilibre du territoire (TET). Du moins si l'Etat commande des versions longue distance des Regiolis et du Regio2N pour remplacer les Corail à bout de souffle. Les besoins en termes de renouvellement des TET sont estimés entre 2 à 3 milliards d'euros sur dix ans. Un bol d'oxygène pour les outils industriels consacrés aux trains régionaux. Alstom y croit. « On en discute depuis un an avec l'Etat, et la SNCF y travaille depuis plusieurs mois. Ce sera le catalyseur de la reprise des commandes», espère Jérôme Wallut. La frilosité est pourtant de mise chez ses interlocuteurs. «L'utilisation de Regiolis ou de Regio2N comme TET n'est pas à l'étude», prétend même SNCF Proximités. Cette dernière aimerait recycler ses vieux TGV rénovés. L'Etat rendra sa décision dans les prochains mois.

« Hors métros et tramways, tous les segments du rail français sont en panne de visibilité», déplore Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). Si le calendrier industriel est retardé, l'impact sera violent sur les sous-traitants. L'avenir de Saira Seats, à Andrézieux-Bouthéon (Loire), dépend des programmes Regiolis et Regio2N, dont il fournit les sièges. «Je crains un report des nouvelles commandes, mais aussi un étalement de celles qui ont déjà été passées», alerte Rémi Ulmann, le vice-président de Saira Seats. Pour le chaudronnier Guillet, à Duppigheim (Alsace), la fourniture des réservoirs diesel des Regiolis était l'activité donnant de la visibilité à l'entreprise, alors que tous ses autres marchés régressent. « Si le calendrier du Regiolis est remis en question, ça va être dramatique », prévient Fabien Guillet, son directeur général.

Pour la filière ferroviaire française, il n'y a pas loin du rêve au cauchemar.